Il y a toujours quelqu’un autour de moi qui va me dévisager de haut en bas en me disant : il a ses deux jambes, ses deux bras, il n’est pas aveugle, il a usurpé sa carte. C’est vraiment ça le sentiment, c’est d’avoir triché, on est des tricheurs. Ça, c’est encore dans la mentalité : parce que l’apparence est bien, on a l’impression qu’il n’y a rien derrière. Je n’ai pas un membre en moins, je ne suis pas en chaise roulante, je n’ai pas une canne blanche, donc je ne suis pas handicapé. Donc déjà, c’est de ne pas avoir la reconnaissance mais aussi la connaissance de savoir que ça existe.
C’est le combat de beaucoup de maladies rares. C’est mon combat.
J’essaye de le prendre avec humour pour certains, avec philosophie pour d’autres, et parfois, quand les regards sont vraiment bêtes et méchants ou même que les remarques se disent tout haut, alors j’interviens. Parfois, je me dis que c’est un peu comme leurs bêtises, mon handicap ne se voit pas tout de suite. Ce n’est pas évident. Et encore, c’est pour des gens qui ne nous connaissent pas.
Parfois, c’est encore plus dur pour des gens qui nous connaissent et où la compréhension ne vient plus. Il y a une vie avant et il y a une vie après la maladie. En tout cas, pour beaucoup de malades, c’est comme ça. Ce n’est pas évident. On a vite fait le tri. Parce qu’il y a plein de choses pour lesquelles on ne suit plus, parce qu’on doit écouter notre corps.
Moi, j’ai énormément de médicaments pour faire fonctionner mes reins. Des diurétiques, ce qui fait que je ne choisis pas le matin. C’est pour ça que je demande souvent les interviews l’après-midi parce que sinon le matin, je dois mettre un fond, parce que je suis sur ma toilette. Pour éviter la dialyse, je n’ai pas le choix. Je suis obligé de recourir à ces choses-là. Parfois les gens ne comprennent pas, parce que je leur demande un rendez-vous et je dis oui, mais « est-ce que tu sais s’il y a des toilettes publiques tout près ? ». Il y en a qui peuvent le comprendre et d’autres pas. Il y a la fatigue aussi. Parfois, on peut très bien aller bien le matin, et pas le soir où on a un rendez-vous de prévu et on doit annuler. Mais c’est pas parce que on ne veut pas, c’est parce que on ne tient pas debout. Ça aussi, c’est très, très difficile de faire comprendre, même aux proches : c’est l’anniversaire d’un proche, c’est décidé, on va au restaurant. Dernière minute, je me désiste parce que je n’ai pas la force d’y aller. Tout cela fait que ça restreint notre vie sociale. Je vous dis, il y en a qui comprennent, il y en a qui ne comprennent pas. Mais nous, on fait le tri. Et le peu de gens qui reste, on sait qu’ils sont là parce qu’il nous aiment bien. C’est une sélection naturelle, on va dire. C’est assez dur à vivre parfois.
Il y a des gens avec qui je sais que je n’aurai pas de problème et je leur dis : « bon, on ne va pas au resto, vous venez manger chez moi. Parce que même si je suis fatigué et que je dois aller une demi-heure au lit, vous prenez un apéro en plus et puis je reviens ». Mais c’est vraiment un cercle très privé. On ne peut pas faire ça avec tout le monde. Et tout le monde n’est pas à même de le comprendre. Je ne dis pas que ça doit être facile pour eux, mais bon, ils se connaissent, et moi je m’éclipse et je les laisse en plan, cela ne doit pas être évident non plus.
J’ai été diagnostiqué il y a 8, 9 ans maintenant. J’ai encore travaillé trois ans. J’étais indépendant, donc c’est « marche ou crève » , en résumé. Je suis passé de mon échafaudage, j’avais rendez-vous chez le cardiologue, je suis arrivé chez lui et je me suis écroulé. Je me suis réveillé aux soins intensifs pour 15 jours. J’avais une grosse crise rénale, une poussée de la maladie. Là, on m’a dit qu’il fallait arrêter. Ou que s’il fallait travailler, c’était uniquement quand la maladie serait moins active, c’est-à-dire trois ou quatre mois par an. Donc c’est totalement irréaliste, en plus dans la profession où je suis… Donc on a décidé que j’arrêté de travailler.
Depuis maintenant deux ou trois ans, tout ce que je peux faire pour faire avancer la cause du patient au sens large du terme, je me suis engagé à ça. C’est pour ça qu’on s’est déjà rencontré à l’Observatoire des maladies, je suis à la LUSS aussi. Ça donne beaucoup de travail effectivement. Maintenant, mon cheval de bataille, ça va être les maladies rares parce que depuis 2017 comme vous dites, on a pas fait grand-chose. On a eu le plan maladie rare qui a été voté chez nous en 2014 et depuis R.A.S., en tout cas en région francophone. J’ai interpellé les deux présidents des organisations des maladies rares, j’ai rendez-vous le 6 septembre avec l’un justement.
La LUSS, RadioOrg et la VPP avaient travaillé conjointement pour un questionnaire au niveau de la direction générale des personnes handicapées et des mutuelles pour savoir où cela bloquait au niveau des maladies rares. Je peux vous envoyer le lien si vous voulez. Et je voyais que Rare Disease Belgium ne faisait pas partie. Je connais la secrétaire, alors je lui ai demandé comment ça se fait que vous ne participez pas à la campagne. « Ah mais on ne nous a pas appelé, ce n’est pas nous qui avons rédigé les questionnaires ». Là, j’ai rigolé. Je lui ai dit : « tu vas me donner les coordonnées de ton président et je vais lui écrire parce que c’est bien d’être un médecin et d’avoir de belles pensées, d’avoir de l’empathie pour les passions, mais eux ils s’endorment tous les soirs gentiment dans leur lit et nous on se demande ce qu’il se passe pour nous ».
J’ai eu dur mais j’ai un entretien avec lui le 6 septembre. Je vais essayer de sonner la fin de la récréation et voir que tout le monde se remette autour de la table. Pendant ce temps-là, il y a 200 000 patients qui ne savent pas quoi faire, il n’y a pas de centre de référence. Ils se posent des questions tous les 3, 6 mois pour savoir comment ils vont réagir à leur test de progression de maladie. Pendant ce temps, on doit vivre psychologiquement sur la corde raide. C’est trop dur.
Bien souvent, on va chez un généraliste et il faut que lui ait le réflexe de nous envoyer chez le spécialiste. Moi, je vais un ulcère au doigt, je suis allé chez un dermatologue réputé et on m’a dit que j’avais une allergie au métal de ma braguette. Avec un ulcère. Donc cela montre encore le travail qu’il y a à faire. Je n’ai pas été diagnostiqué il y a 30 ans, j’ai été diagnostiquée il y a 8, 9 ans !
Attention, on est les premiers à reconnaître que les médecins sont des êtres humains et qu’ils ne savent pas tout connaître. Au plus on évolue avec le temps, au plus on trouve de nouvelles maladies, donc on ne peut pas leur demander de répertorier les 6000 maladies rares qu’il y a. Mais l’humilité de pouvoir dire aux patients : « je ne sais pas ce que vous avez, je vais vous envoyer chez un confrère », ça c’est quelque chose qu’il faut travailler. C’est l’humilité du médecin, parce que le paternalisme est un peu fini. Le médecin qui sait tout, on n’y est plus. Il y a encore beaucoup de travail, c’est de se dire simplement, restons humbles, « je ne sais pas ce que vous avez, je ne vais pas vous inventer une maladie parce que je suis le docteur et je me dois de vous annoncer quelque chose ». On ne sait pas tout, et on peut le comprendre. Mais n’inventez pas n’importe quoi.
Moi, pour les rhumato, j’ai des listings. J’imagine que pour les dermato aussi. Maintenant, est-ce qu’il n’y a pas encore une fois une protection d’un corps plutôt qu’un autre ? C’est pour ça que cela ne bouge pas, parce qu’ils veulent les centres de référence à Liège ou à Charleroi et qu’ils ne sont pas d’accord. Mais regardez dans le monde ! Des gens font 200 km pour aller voir un médecin. Nous on va devoir faire 60 km pour aller voir un spécialiste avec un centre de référence, démerdez-vous, moi je m’en fous que ce soit à Liège ou Charleroi. À mon avis, le patient s’en fout aussi, lui ce qu’il veut, c’est un centre, avoir des références. Pouvoir être pris en charge.
J’ai cette grande chance d’être soigné par une équipe et donc je n’ai pas, comme beaucoup d’autres patients qui ont un rhumato d’un côté, un cardiologue de l’autre, et qui eux-mêmes doivent faire le lien ou devoir se rappeler quels médicaments ils prennent pour voir s’il n’y a pas d’interaction. Moi j’ai la chance d’avoir tout dans le même bâtiment. Quand il y en a un qui veut augmenter un médicament, il prend son téléphone et il appelle tout de suite l’autre spécialiste. Alors oui, ce sont des maladies rares, c’est hyper important, mais ça devrait peut-être devenir dans l’absolu un classique, la connexion et la communication inter-soignants est vraiment primordial pour une bonne prise en charge.
Moi j’ai été voir un généraliste, j’ai toujours eu la chance d’avoir un médecin généraliste qui se tient à la page, qui se renseignait, qui disait : « je pense savoir ce que c’est, mais je ne m’avance pas. Va voir telle personne ». Ça, c’est une démarche à laquelle j’étais habitué et que je trouve vraiment honnête. Et il avait mis le doigt sur la bonne pathologie. J’ai été suivi après un an ou deux par un rhumatologue mais je voyais que cela commençait à s’agrandir par rapport aux organes touchés.
J’ai la sclérodermie systémique diffuse. Donc dans la sclérodermie, il y a 5 à 10 % des gens qui peuvent avoir la diffuse. La vilaine forme, qui attaque aussi… La sclérodermie, c’est le durcissement de la peau, mais ça vient surtout du durcissement du tissu. Le tissu conjonctif qui est abîmé. Cela va forcément sur les doigts mais ça va aussi sur le cœur, les reins, les poumons et l’œsophage. Forcément, l’élasticité au niveau du cœur, des reins, des poumons est de moins en moins… se fait de moins en moins, elle se fait avec de plus en plus de résistance, essoufflement, et tout ce qu’il s’en suit.
Il y a peut-être des médecins qui ne savent pas. Mais une fois diagnostiqué, je pense que c’est surtout… Moi, c’est avec la vie de tous les jours avec laquelle j’ai le plus de mal. Parce que les gens vous jugent. Vous savez, je suis sensible au froid, j’ai un fils qui faisait du sport. À partir du mois d’octobre, quand j’allais le voir, sur le bord du terrain, j’avais des gants, un bonnet, une écharpe. Ce sont des gens que je connaissais, mais j’entendais les remarques : « il se croit au pôle Nord celui-là ». J’ai dit : « mais punaise, je suis juste en train de regarder un match de rugby de mon fils et je n’ai même pas droit à cette tranquillité ». On doit encore essayer de me prendre pour un abruti parce que oui, je dois me couvrir du froid.
Dès qu’il fait 15°, mon corps se dégrade beaucoup plus vite que quand il fait bien chaud. Ce n’est pas évident c’est pour ça que c’est continu, je n’ai pas profité beaucoup de cet été évidemment parce que dès qu’il fait en dessous de 15°, je dois sortir avec des gants ou avec un bonnet. J’ai des gants électriques chauffants et des trucs comme ça. C’est souvent des railleries, parce que en Belgique, quand il fait 15°, il fait déjà bien. La plupart des gens sont déjà contents. Moi je n’ai plus cette chance… J’en profitais avant aussi, maintenant c’est fini.
C’est surtout ça, la bêtise, c’est la méconnaissance. La case n’existe pas dans nos sociétés occidentales où on peut aussi bien avoir une apparence où tout se passe bien, mais ou à l’intérieur ça ne va pas. C’est fou. Il y a des moments où comme je vous le disais, je prends ça avec humour quand j’ai bien dormi. Mais c’est plus la lassitude, à force. À tort peut-être, parce que en continuant l’éducation, de leur apprendre que ça existe, mais voilà. C’est fatiguant.
La LUSS a fait un programme « patient formateur » et on a été formé et on a parlé de nous, de nos pathologies. Et l’errance médicale revient très souvent. En tout cas, au plus la maladie est rare et méconnue, au plus elle a dur à se faire diagnostiquer clairement.
C’est toujours un choc, l’annonce, mais aussi un soulagement, parce qu’il y a des gens qui, pendant 5, 6 ans, à part dire qu’on les a pris pour des fous ou qu’ils étaient hypocondriaques, ces gens avaient des maladies, et on leur disait « non, les résultats sont bien, tout va bien, vous n’avez rien ». C’est gens avaient quand même des maux. C’est un choc, mais c’est aussi un soulagement et une reconnaissance parce que enfin, on met un nom sur leurs maux et ils ne sont plus simplement « des fous » ou des gens qui simulent. C’est très important. Et c’est vrai que l’errance thérapeutique revient malheureusement trop souvent dans le parcours de soins du patient.
Ce n’est pas parce que c’est rare et cela n’existe pas. Ça se voit aussi chez les médecins. J’ai des médecins qui m’ont ouvertement dit, des rhumato, qui m’ont dit : « Écoutez, vous êtes le 2e que je rencontre dans ma vie et je suis en fin de carrière. Ce médecin doit avoir pouvoir avoir l’ouverture de dire : « ben oui, il y a 15 ans que j’en ai pas vu, mais ce n’est pas pour ça que cela n’existe pas ». Encore là, je parle de spécialistes. J’imagine le médecin traitant, qu’est-ce que lui il doit se dire ? C’est pour ça que c’est vraiment important d’avoir l’humilité de se dire : « moi je ne vois pas mais ça ne veut pas dire qu’il y a rien ». C’est vraiment très important pour le patient déjà. C’est déjà dur de ne pas être diagnostiqué mais si en plus on doit être stigmatisé, en disant qu’on l’a fait exprès pour avoir des certificats de complaisance, parce qu’on entend de tout…
La pire chose que vous ayez entendue ?
Dire que j’avais une allergie au métal de ma braguette. Surtout il n’y a qu’un seul doigt. Donc, je mets au défi de défaire la braguette avec un seul doigt. Je me disais : c’est bizarre mon pouce n’est pas atteint. Au moment où elle me le disais, je me voyais en train de descendre ma braguette, et je me suis dit mais pourquoi il y a qu’un seul doigt touché ?
J’ai fumé, j’ai dû arrêter pour avoir un médicament spécial et ça, ça va. J’ai une autorisation d’un an qui doit être à chaque fois renouvelée par la mutuelle et chaque année, je dois faire une nouvelle demande. Mais punaise, j’ai une maladie chronique à vie, pourquoi me mettez-vous encore cette épée de Damoclès où après 9 mois je dois encore faire une demande auprès des médecins pour savoir si ma demande va encore être autorisée ou pas, dans le cadre de ma maladie alors qu’elle est à vie cette maladie ?
On avait prévu une amputation de mon doigt, parce que l’ulcère, ça nécrose. On m’avait dit que si ça devait toucher l’articulation il fallait amputer parce que sinon, cela pouvait remonter très vite. Donc j’avais dit OK je ne pouvais plus. J’étais sous morphine et j’ai programmé l’opération. La marraine de mon fils est infirmière et elle m’a dit : « Pascal, il n’y a aucun souci, tu dois simplement être en accord avec toi même parce que sinon, tu risques de développer le syndrome du membre manquant et d’avoir mal ». La veille au soir, j’ai appelé l’infirmière et j’ai dit « vous annulez l’opération, il n’est pas encore tombée ce morceau, il va rester ». J’ai continué pendant 2, 3 mois à m’injecter tous les jours, j’allais chercher des blocs de 12 à 15 seringues d’anesthésiant. Maintenant, mon doigt est toujours là. La force de l’esprit est toujours phénoménale.
L’association de sclérodermie est dans les 2 groupes de maladies rares, la LUSS, je suis suppléant au conseil d’administration de la LUSS.
J’ai un conseil d’administration de Claire, parce que vous parliez justement de se réunir ensemble. On a tout ce qui est sclérodermie, lupus, polyarthrite, tout ce qui est traité par des rhumato, tout ce qui est inflammation rhumatismales relativement invisibles à vivre aussi. Donc je proposerai à ceux qui veulent de prendre contact avec vous.
J’ai une amie Céline qui a la spondylarthrite ankylosante. Elle a une trentaine d’années. Elle est aussi dans des associations pour enfants malades, elle fait aussi beaucoup de défis à vélo. On a collecté plus de 6000 euros pour la recherche. C’était une belle aventure elle est aussi très combattante, souriante et positive malgré son handicap.
Vous menez le combat de votre côté et nous on se sent moins seul.