Enfant, j’ai aimé jouer et rouler à bicyclette, explorer mon village et ses facettes. Bonne enfant, arsouille au grand désarroi de mes parents. Élève dite modèle, tennis de compétition, entourée par l’amour de mes grands-parents. J’ai commencé des études d’universitaire ou encore de graduée pour finalement me plonger dans les sociétés familiales, j’ai déménagé de mon village, j’ai pris mon indépendance, j’ai été très sportive, un jour une grande fatigue m’a surprise…
Aimant jouer la comédie enfant pour faire sourire mes proches et ayant vécu, adolescente, de longues périodes d’anorexie, ma famille ne m’a guère prise au sérieux à 28 ans : « tout ça, c’est dans ta tête ». Épuisé, le corps douloureux, mes recherches ont été longues, vaines, parsemées d’embûches et d’attentes
interminables entre les rendez-vous. Enfin, un diagnostic, un interniste, l’annonce a été comme libératrice. Ce n’est pas dans ma tête, c’est mon corps qui le dit. J’ai une maladie ultra rare, au foie, ma foi, j’ai pourtant mangé des fruits et légumes frais, je n’ai jamais apprécié l’alcool et les embûches, comment cela se fait ?
Erreur, errance médicale, le verdict du diagnostic, deux chemins du possible : retrait, repos, perdition ou prendre son chemin en main ? Lancée, me suis-je, lancée, avec le chemin, dans l’attente d’aucune décoration, dans l’attente de rien, dans l’attente du tout.
Un nouveau parcours où vous commencez des traitements inconnus et lourds, des combinaisons de pharmacologie inattendues. Vous les prenez comme du pain bénit, cela ne va pas durer, c’est comme un bon rhume ou un torticolis. Je n’avais nulle connaissance de l’aventure dans laquelle j’étais embarquée. En fait, j’allais: ramer, pagayer, crouler, rire, pleurer, chuter, me relever, écrire, mourir à moi-même, respirer, suffoquer, pianoter, danser, philosopher.
Je ne suis plus la même, le sport et le travail, c’est terminé ? Une amie me propose une séance photographique, je n’ai jamais aimé cela : être photographiée ? Je n’ai pas aimé mon enveloppe corporelle. Le milieu artistique ? Il s’avère que je suis photogénique. La photo, mince : c’est thérapeutique !
De 2011 à 2018, je suis indépendante complémentaire. Cours de sport, salle de sport, je suis anciennement athlète de quelques disciplines. La danse, je tente et passe le pas, arabesque et saut de chat, contemporain, classique, la musique m’entraîne et détend les tensions jusqu’aux prochaines tensions : cycle infernal et cycle éternel ? Changement de législation, je serai volontaire, je m’embarque dans la péniche « corps et âme » : le comité de patients du CHU de Liège, puis la coupole belge des maladies rares, le partenariat patient, je reprends une année d’étude parmi les soignants en éducation thérapeutique du patient – réussite. J’ai oeuvré, j’ai continué, j’ai ouvert le champ des impossibles, des invisibles. La Luss, les mutuelles, les soins palliatifs, les hôpitaux, j’ai un pied droit par ici et là-bas, je me retrouve avec des compétences qui me surprennent, je suis dans les conférences, dans les colloques, dans les galas, j’ai une bonne expérience de la souffrance ? Je suis reconnue et sollicitée pour et grâce à cela en fait ? J’ai été contactée par un ami patient pour rejoindre un comité d’éthique, études cliniques ? Consentements éclairés ? Suis-je involontairement volontaire ? Comment m’en sortir sans m’y perdre ? Je ne suis ni duchesse ni Sainte Anne…
L’hôpital : ma seconde maison, médecins et spécialistes, mon cas est rare et atypique, nous sympathisons, nous parlons de mes examens, des soins de santé, de
généralités, pour l’amélioration de la vie des patients, des médecins et même des institutions… j’en parlerai en réunion ‘
Maladies rares, très peu de suivi : ni inter, ni pluridisciplinaires, nous sommes mal embarqués, nous, les cas complexes, malmenés à nous-mêmes. Il n’y a pas de
financements vu la rareté, nous sommes perdus, nous devons coordonner une batterie de spécialités, sans oublier les méandres de l’administratif et des politiques. Je suis suivie à l’UCLouvain, au CHU de liège et au Chr Citadelle, ce n’est guère l’ennui avec ce schmilblick.
Fatigue, douleurs intenses de la tête aux pieds, ainsi vont mes journées, parésie gastrique entre le stade B et C. Dermatologie : ma peau est très fine, hématomes ou plaies, un sparadrap de fortune s’il vous plaît ? Blessures ouvertes parfois surprenantes pour mes proches, nous n’irons pas aux urgences, je tâche de les
rassurer, ce n’est rien, c’est passager, je suis habituée, banalité. Gynécologie contrôles, neurologie clinique du sommeil, psychologie, médicalement assistée, gare
au cancer, gare aux effets secondaires des traitements qui ne soigneront jamais, je suis immunodéprimée, vous connaissez ?
Maladies rares, méconnaissances : être patient, c’est une autre existence, elle est atemporelle et intemporelle. Je n’ai de soucis avec les interventions, avec les
bistouris, avec les scialytiques, avec les hôpitaux, je les ai intégrés à ma routine. Éthique, philosophie, pédagogie. La biologie est fondamentale, certes, mais la vie des patients, celle de chaque journée, adaptée ou non, souhaitée ou non, vous l’imaginez ?
En 2013, je découvre le yoga classique. En 2014, la méditation. Ils sont mes partenaires particuliers : une, deux, trois fois par jour, c’est éreintant, c’est apaisant.
La musique m’entraîne, l’écrit me soulage, l’humain me donne force…
Je ne peux prendre des anti douleurs chimiques par crainte de flambée hépatique, je n’ai donc d’autres choix que de pratiquer et d’étudier par conséquent, de vivre autrement et en souriant ! Je pleure parfois de joie, comprenne qui pourra, je pleure de tristesse en marchant, à tout vent, les larmes s’envolent plus allègrement.
Cette année, en 2021, pour l’anecdote, en est-elle (?), jusqu’au-boutiste, j’ai fait mes voeux dans une tradition bouddhiste tout en restant laïque, celle du zen, celle de la méditation assise. Tout cela est très complémentaire à la médecine. Je suis bodhisattva, savez-vous ce que cela signifie ?
Avec mes différences, avec la maladie, avec mon savoir expérientiel et situé, j’ai développé des compétences certes, avec et pour les patients, reconnus, inconnus,
méconnus, ils sont devenus mes intimes, ceux pour qui je me donne vie. J’ai tellement manqué d’écoute et d’accompagnement, je l’apporte autour de moi,
pourquoi pas, qui m’écoutera et qui m’accompagnera ?
Fil de parcours, je marche sur le fil, sur ces années, j’ai pris des clichés dans les lieux hospitaliers, sans modèle ni patient. Je vois l’hôpital autrement. Mes images, mes mots sont des outils au service de la connaissance, au service de la différence ?
Signez, Mesdames Messieurs, les politiques ! Reconnaissance ?
Je me sens délaissée parce que cela ne se voit pas, cela se voit ?
La faiblesse, la vulnérabilité : tout ce qui est invisible, rendons-le visible ? Que nous ne soyons plus stigmatisés, que nous n’ayons plus peur d’en parler et que nous arrêtions enfin de jouer, de peur, de crainte de ne pas être aimé, liberté ? Sortez les drapeaux et jouez du klaxon pour moi ? En effet, je n’aspire à être syndicat.
Je suis entre parenthèses, je m’adapte au monde externe.
Je suis née aimante et sensible. C’est beau et difficile à vivre. Je ne désire blesser ma famille, mes amis avec ma maladie, je ne désire me plaindre, je ne sais comment en parler, dois-je crier ? Dois rentrer dans les cubes de la solidarité ?
La maladie permet de revenir à l’essentiel, bien souvent, si seulement…
Avec ma famille, la relation est éclaircie aujourd’hui, ils ont compris sans tout entendre, ils ne sont pas présents, je m’en suis accommodée, je ne suis plus en colère, je tâche de m’aimer… Aimer, c’est mon antidote au mal a dit, invisible maladie… Rendons-la visible sans être triste ou pathétique, en couleurs ou en noir et blanc. La maladie est un travail à mi-temps, je rêve souvent d’être intégrée dans un schéma de roulement.
J’ai froid en plein été, je suis assommée par la journée, je suis touchée par le moindre écart, je sourie aux facéties de mes difficultés.
Écouter le corps médical, mais encore…nous ne sommes pas un organe, nous sommes un fonctionnement général.
Je suis blasée du premier degré, je suis attirée par les esprits vifs et humanisés, ils n’ont pas d’âge, ils ont une âme.
Je suis gravement malade ni vu ni connu, société d’apparence et d’apparats.
Je ne suis pas une maladie, je suis un être sensible.
Je suis, je vis comme marginalisée, en dedans, en dehors de la société, insouciance et reconnaissance de vivre.