Ce qu’en disent les artistes
Christine Horman
Celui aux pieds retournés, en fait c’est aussi né de quelque chose que je porte depuis un petit temps. Parce que je… j’ai vraiment envie de travailler autour de Héphaïstos. Qui est le dieu boiteux. Donc il est jeté par sa mère parce qu’un fils de dieu ne peut pas avoir une difformité. Et il devient l’artisan des dieux et tout ça. Il se venge auprès de sa mère. Il lui offre un… un trône d’or qui se referme sur elle. Zeus doit intervenir pour qu’il la libère et tout ça. Et c’est un personnage qui me fascine assez. Donc j’avais vraiment envie de… de le travailler. J’avais une espèce d’intuition. Parce que le projet a évolué quoi. J’avais une espèce d’intuition de le croiser avec Frida Kahlo. Parce qu’en fait, Héphaïstos on dit aussi que c’est presque le premier récit de sciences-fictions. Parce que il se fait, pour aider son corps en fait, il se fait des attelles et tout ça. Donc en fait il trouve des astuces extérieures à son corps pour pallier au… aux difficultés de son corps. Et il y a quelque chose dans les tableaux de Frida Kahlo notamment ce tableau qui est celui de la colonne brisée où le corps de Frida Kahlo est divisé en deux. On voit une… une colonne antique qui est brisée aussi et son corps est transpercé de clous. Elle pleure. Son corps est drapé donc il y a quelque chose où elle met son corps en scène, où elle met sa douleur en scène comme ça dans un décor presque antique avec cette colonne et ce paysage désertique.
Et il y avait quelque chose qui faisait écho entre les deux. Alors maintenant dans mon travail personnel finalement j’ai laissé un peu tomber Héphaïstos et je m’intéresse vraiment à Frida Kahlo. Où sa manière là de mettre son corps en scène on comprend qu’elle met sa douleur à l’écart. C’est ça pour moi le mouvement de… de l’art. Et de Héphaïstos est resté un conte que j’avais envie de raconter qui est « Pied d’or ». Parce qu’il y a beaucoup de contes en fait qui sont des… des petits-enfants, arrières petits-enfants de… de la mythologie. Et donc je me suis un peu inspirée de « Pied d’or » pour faire cet enfant « Celui né aux pieds retournés ».
Et je me suis aussi inspirée de ce que j’avais lu dans l’histoire du handicap. Et notamment au moment des… ce qu’on disait dans la philosophie grecque, dans ce que disait Platon. Et de ce qu’on faisait des enfants à ce moment-là. Les enfants malformés étaient en fait comme des signes de dieu en fait. C’était des enfants qui… qui étaient des messagers quelque part. Et donc ils n’appartenaient pas au monde des humains. Alors ils… on les exposait. On les laissait là. Non pas pour les sacrifier et les tuer. Mais plutôt l’idée de les rendre à dieu. Et donc du coup j’ai un peu combiné toutes ces idées-là de cet enfant qui naît les pieds retournés.
Et que la mère ne sait… En plus le pauvre il est fils de roi ! Donc ça, c’était… Et donc le roi il dit « Vous n’y pensez pas ma reine on va pas garder cet enfant-là quoi. C’est pas possible. » Et donc du coup la reine ben elle le rend aux dieux et puis elle… il est pris, il est recueilli par ce forgeron. Et donc c’est vraiment inspiré de toutes ces images-là.
Et j’ai regardé aussi beaucoup de… de trucs anciens, qu’on voit sur internet avec des… des trucs médicaux d’avant. Les premiers trucs où on redressait les pieds bots et tout ça. Mais c’est… c’est l’horreur hein. Et la fameuse phrase que je dis : « c’est que les redressements en force des déformations anatomiques ne se font jamais sans souffrance » c’est dans un truc de médecine quoi hein. Et là moi ça me fait vraiment écho à mon enfance avec ces plâtres, avec ces trucs qu’on… qu’on nous fait et il faut vraiment sans doute avoir énormément de maturité pour se dire que c’est pour notre bien. Mais il y a une volonté de redresser les corps effectivement. Comme on.. Comme une plante qui pousse pas droit et qu’on remet droit. Alors on… on fait ça avec les dents maintenant, tous les enfants ont les mêmes dents. Alors on peut dire « oui c’est bien » parce que c’est bien d’avoir une bonne dentition. Il y a des… des critères de santé qui jouent. Certainement. Mais je ne suis pas sûre que le critère de santé soit le premier critère. Donc c’est-à-dire que c’est tout ça que je voulais mettre dedans. Et que finalement sa liberté à lui c’est de dire : « Hé ben moi, maintenant je marche en arrière. Et je marche en arrière. Et c’est comme ça que je marche en fait ».
Et ce que aussi je voulais aborder dans ce conte-là, c’est… c’est le fait que… parce que quand le roi dit « mais cet enfant, c’est pas possible il ne marche jamais tout droit, il n’ira jamais de l’avant ». Et on doit aller de l’avant. C’est comme ça dans la vie. On arrête pas de dire « Où est-ce que tu vas ? Quels sont tes projets ? » Et quand tout à coup on a à faire à un corps qui ne va pas faire ça, c’est comme s’il y avait une espèce de « blessure ontologique » de ce que c’est que… ce que ça doit être un être humain. Et donc c’est un peu tout ça que je voulais mettre dedans. Bon le pauvre aussi, il porte beaucoup sur sa tête. Mais tout ça après je ne sais pas si je… c’est tout ce qui est en amont en moi. Après, quand le personnage sort, il vit sa vie. Il me demande plus mon avis quoi.