Christine Horman :
Il se fait que j’avais rencontré Marie, dans un atelier avec Michel Denocht, on s’est super bien entendues. Il se fait que j’avais aussi rencontré Evelyne, qui fait la traduction en langue des signes. Et tout de suite je me suis dit « ben ça serait super qu’on fasse ça à trois » parce qu’on est toutes les trois concernées. Et dans ma tête c’est ça. C’est-à-dire que c’était vraiment une parole artistique qui allait être portée par des gens qui savent de quoi ils parlent. Et moi, du coup, le projet vraiment, qui pour moi est important, c’est celui-là. C’est des personnes qui sont confrontées au handicap ou dans leur corps ou bien par leur métier et tout ça, comment ils portent ça en eux, comment ça les transforme. Et comment ça s’inscrit dans leur parole artistique.
Et du coup, ben, à partir de ça j’ai pris conscience de beaucoup de choses aussi dans… dans ma vie, dans mes choix artistiques, dans les personnages que je raconte.
Et je voyais que des personnages autour desquels je tournais, ben, ils allaient me servir pour ce projet. Dans ce… ce moment où je me suis interrogée vraiment sur ce que moi je voulais dire sur le handicap, j’ai questionné fin, j’ai été au charbon là où ça flottait en moi depuis un petit temps, mais donc où j’ai été questionner ce sentiment de honte qu’on peut avoir, la question de la culpabilité, l’envie de toujours s’adapter, fin l’envie, le besoin de s’adapter tout en affirmant notre différence. Fin, toute cette ambiguïté dans laquelle, et ces discours paradoxaux, ces injonctions paradoxales, que moi en tous cas en tant que personne handicapée, j’ai le sentiment de recevoir de la société.
Comment s’est construit le projet ?
Christine Horman :
Le premier travail a vraiment été un travail d’écriture. De construction des récits, de travail sur la langue, sur les sonorités… sur la description d’un univers, un cadre pour dire ce que moi je voulais défendre.
Le deuxième travail, ça a été de nouveau oraliser et en faire vraiment des contes. Donc c’est-à-dire de faire un peu le deuil des formules poétiques, que j’aime bien, mais qui peuvent effectivement, à l’oral, une fois qu’on raconte devenir simple formule et ne pas montrer ce qu’on veut montrer. Alors c’est un travail assez facile à faire quand on a Evelyne qui traduit en langage des signes à côté de soi parce que chaque fois qu’il y a une formule littéraire elle dit : « Qu’est-ce que tu veux dire ? » Donc voilà, si je peux parler un peu du travail de… d’auteure qu’il y a eu et après d’adaptation aux contes en musique aussi avec Marie où on, puisque ça, c’était pendant le confinement, on s’est beaucoup parlées au téléphone. Donc j’avais envoyé le premier texte, Marie me dit « J’ai écouté avec ma… ma synthèse vocale et il y a des petits passages que la synthèse vocale, sans doute, ne traduit pas bien ».
En fait je voyais que quand même, ce qui était pris en charge, moi, dans mon écriture écrite, où tout d’un coup on met en page d’une certaine manière, on passe deux trucs… On triche parce qu’on n’a pas le trou, on n’a pas le truc. Et donc tout ce que Marie ne comprenait pas et que sa synthèse vocale ne savait pas traduire c’était quand même là où j’avais des trous. Donc ça, c’était aussi super intéressant. Et il y avait un petit passage où elle m’a dit : « Oh j’ai une petite musique. Je ne sais pas, mais ça me fait penser, quand la… la fille de faïence s’en va comme ça ». Et elle me l’a chantée c’est : Paï padaï Paï padaï. Et tout après, ma construction, s’est faite sur cette petite musique que Marie m’avait chantée au téléphone et puis finalement qu’elle m’avait envoyée et que j’écoutais sur mon petit baffle Bluetooth. Et voilà donc on s’est envoyé des capsules comme ça sonores d’appartement en appartement. Et c’est comme ça que ça devient… ça devient vivant, c’est plus une idée qu’on a. Les personnages sont là, ils nous parlent. Ils sont avec nous quoi. Quand on en parle entre nous, on parle vraiment d’un, de quelqu’un qui n’est pas là. On dit : « Ben là qu’est-ce qu’elle fait ? On ne sait pas. On va voir. »
Ce qui m’intrigue par rapport à… à ce qu’on a fait dans ce projet, en rencontrant Marie qui a une parole, aussi je trouve, très singulière de conteuse. Très dans la sonorité. En voyant le travail d’Evelyne. Quand elle discutait aussi avec Nicoletta sur c’est quoi la langue des signes. C’est de de m’interroger de plus en plus à, ce qu’on fait de manière un peu inconsciente, mais je pense que la parole artistique est teintée quand même d’expériences de la fragilité du corps. Et ça, de plus en plus, j’ai envie d’interroger ça. Qu’est-ce que ça donne comme spécificité à cette parole ? Peut-être pas grand-chose. Mais peut-être quand même quelque chose. Et ça je trouve que c’est quand même intéressant d’un point de vue aussi artistique de s’interroger là-dessus.
Tout ça est un peu présent dans ma tête au moment où je fais les histoires, où je réfléchis à comment les porter.
Evelyne Devuyst
Alors pour moi le projet c’était quelque chose qui me touchait vraiment parce que ça touche au handicap, mais justement d’un point de vue complètement différent. Ça part d’une personne qui est fière d’être ce qu’elle est, avec toutes ses identités et en partie avec un handicap ou pas. Et donc c’est ça qui me touchait d’avoir cette façon de sentir les choses.
Nicoletta Ciuca
C’est vrai grâce aux contes Evelyne est capable de traduire pour moi. Parce que je peux me mettre en lien avec les autres et du coup j’ai vu clairement que la traduction elle était vraiment visuelle pour qu’on puisse tout comprendre. Et donc j’ai pensé que c’était logique que Evelyne tienne cette place de traductrice. Et en suivant le texte moi, c’est vrai, si je devais faire ce travail de traduction ça ne serait pas la même chose, ça serait pas bien, ça serait pas naturel. Alors on s’est mis d’accord pour que Evelyne continue à traduire. Et moi ça me permettait d’avoir plein d’images dans ma tête et de pouvoir les retranscrire par le dessin. Et ça, c’était vraiment super chouette. Parce que le projet n’est pas fini. Et donc, et on l’a construit ensemble, vraiment avec tout le monde. Pour pouvoir mieux travailler encore par la suite, dans le projet.
Marie Thys
Ben pour moi c’était vraiment des… c’était… je me souviens au départ de petites touches quand Christine m’a téléphoné. Elle m’a parlé du projet qui était né entre Esenca et les Conteurs en balade. Je sentais que Christine elle était animée de plein de choses et moi ça me donnait envie, mais je me sentais un petit peu… un petit peu impressionnée comme ça. Je me dis « bon olala lala elle a l’air d’avoir tellement de choses à dire. Moi est-ce que j’ai vraiment beaucoup de choses… » fin, je suis contente qu’elle ait pensé à moi, vraiment contente. Et puis il y a eu le texte qu’elle m’a envoyé avec le… la difficulté un peu de mon ordinateur qui lit les textes de manière très mécanique comme ça. Et vraiment la naissance pour moi du projet ça a été les premiers coups de fil avec Christine et les premiers éclats de rire de Christine qui étaient vraiment pour moi pleins de tout ce qu’il y a eu dans le projet après : à la fois, dans la rencontre avec les autres personnes, plein de légèreté et plein de choses graves aussi. Et dans le rire de Christine il y a, c’est ça dont je me souviens au départ et qu’il y a encore maintenant des grands éclats de rire où on entend la gravité, mais aussi la légèreté. Et ces petites bulles avec d’abord Christine, au téléphone, les premiers échanges et que ça clopait comme ça.
Et que, oui, voilà. Que la manière dont… comment dire… dont on se partageait des expériences intimes liées à, elle, son handicap et au mien, c’est des handicaps différents, mais bon, il y a plein de choses qui se, qui clopaient comme ça. Et je me rendais compte aussi que Christine se posait des questions que moi avec ma nature je me pose moins. Ou je, fais des expériences autres, mais je mets moins de mots dessus. Et le fait d’en parler avec Christine je me suis dit : Ah, mais oui ! C’est vrai que le regard par rapport aux gens, par exemple, malvoyant ou non voyant, le regard des gens il est soit super admiratif soit super plaintif. Que Christine me disait un peu pareil dans son cas. Et de parler comme ça avec elle m’a vraiment énormément fait réfléchir à des tas de choses, dans mon quotidien, des choses que… que voilà mettre des mots sur des expériences que je vis. Fin c’est arrivé au bon moment en fait. C’est un peu tout brouillon ce que je raconte. Mais c’est arrivé vraiment au bon moment.
Et puis il y a eu les rencontres avec les autres. Les autres nanas. Les autres terribles nanas. Avec la première rencontre sur Whatsapp. Et c’est vrai que bon le coup de fil Whatsapp avec la contrainte, quand on ne voit pas clair, de bien se positionner par rapport au téléphone… Pfff avec ma synthèse vocale qui parle souvent en plein milieu je me dis bon chaque fois c’est un petit léger stress. Et puis au-delà de ça, il y avait « Tiens ! On va faire une table, une table ronde avec une personne qui n’entend pas et que je ne connais pas. » Ça me faisait un peu rire. Je me suis dit « Tien on cumule un peu les difficultés » et puis j’ai trouvé ça miraculeux parce que ça s’est passé de manière… il y avait ce rire qui était jamais loin. Qui n’est jamais loin. On a pas mal, souvent, de fou rire entre nous. Le rire déjà, pouf pouf, il naissait comme ça entre ces quatre personnes-là. Avec énormément de délicatesse. Avec Christine et… Christine et Evelyne qui faisaient un peu les passeuses entre Nicoletta et moi. Moi qui parlait et alors qu’il y en avait une qui… qui signait pour que Nicoletta puisse suivre la discussion. Mais tout ça s’est passé dans un truc complètement difficile qui est la discussion Whatsapp. Fin c’est un peu improbable. Parce qu’il y a les images. On n’est pas en présentiel. Fin on n’est pas toutes ensemble. Et ça s’est passé. Et après ce coup de fil, j’ai dit : « Ho. C’est merveilleux. C’est miraculeux. »
Et puis on s’est rencontrées chez Christine. Et ça a continué. Mais moi aussi, de nouveau un peu : » Comment je vais faire avec Nicoletta ? » « Comment est-ce qu’on va faire ? Comment on va communiquer ? » Et puis paf on se rend compte que les vibrations du violoncelle elle les entend. Elle vient tout près de moi et on… et alors tout d’un coup je sens qu’elle est comme ça, comme une petite fille comme ça. Qu’elle ressent le… la musique du violoncelle. Et qu’il y a par là il y a une communication qui peut se faire.
Voilà, et ça a été tout plein de petites surprises comme ça. Je n’ai jamais vécu ça. Et je pense que c’est… fin toute notre ambiance qu’on avait entre nous un peu mijotée comme ça pendant des mois on a l’impression que ça a pu se déployer devant des caméras et devant des micros. Et ça, c’est quand même un peu… rare. Et j’ai l’impression que tout ce projet est fait comme ça.
Isabelle Puissant
Avant de travailler sur ce projet-là, j’avais eu le plaisir de rencontrer Evelyne. Parce qu’elles avaient travaillé sur un autre projet de contes. Et Evelyne avait… j’avais donc fait sa connaissance comme ça. Et j’avais déjà pris, comment je vais dire ça, la mesure poétique de… de ses mains. Et et comment, en contact avec Christine, la force du récit se décuplait. Il y avait vraiment une symbiose entre elles deux dans cet espace, qui était autour d’un autre conte. Et quand elle m’a dit qu’Evelyne faisait partie du projet, j’ai doublement foncé. Et là-dessus, j’ai rencontré Marie. Et alors là, ben que dire, c’est Marie. Alors là je découvre une nouvelle singularité. Les trois personnes là, c’est une sacrée bande de conteuses. Ça, il faut bien le dire. Qui ont toutes une singularité extraordinaire. Ça n’est pas la question du handicap. C’est la question de, comment je vais dire, de la personnalité. Vraiment. C’est des identités qui sont, à travers le conte, à travers les histoires que Titine, que, pardon, Christine Horman, a écrit se révèlent être entièrement elles-mêmes. Bon, Christine c’est normal. C’est son récit, elle le porte. De mieux en mieux. Depuis très longtemps. Et j’y suis plus habituée. J’ai découvert Marie. C’est une autre forme de transmission, mais qui est tout aussi poétique. Et qui est…. c’est assez extraordinaire d’avoir ces trois présences différentes. J’ai découvert celle d’Evelyne. Parce que, effectivement, j’avais un peu l’idée qu’on était dans la traduction au départ. Je ne connais rien de la langue des signes. Et puis très vite j’ai compris. Non c’est bien au-delà de ça. C’est une forme d’adaptation. Donc elle… elle crée également son propre conte. Et alors, il y a quand même quelque chose, je ne sais pas si ça a été beaucoup dit, mais l’humour qui est véhiculé par chacune de ces conteuses c’est… Effectivement, si, je pense que Marie en a parlé il y a peu de chance de passer une journée sans mourir de rire.
Quelques mots sur les récits et les personnages ?
Isabelle Puissant
C’est une histoire. C’est un bloc. Et on passe à travers les… les révolutionnaires. Toutes celles et ceux qui sont les « gueux ». Et qui, quelle que soit leur… leur étape de vie, à un moment ouvrent les yeux. Un peu guidés par une fille de faïence. Qui avait l’avantage d’avoir une petite boule de cristal. Et va se former une longue marche vers… vers ce qu’on va, à mon avis, devoir vraiment définir dans la suite. Mais qui… qui jusque-là est un évènement assez heureux puisque c’est évidemment un début de révolution qui forcément sera un pique-nique et une fête. Ce qui est rarement le cas, mais on va le prendre comme ça.
Christine Horman
Tout s’est mis sur la longueur en fait. Tout d’un coup je trouvais un personnage qui me renforçait dans… dans quelque chose dont j’avais l’intuition. Parce que quand on écrit, quand on pense comme ça à des personnages, à un moment donné le personnage il décide à notre place. On fait pas… On prend pas un personnage en disant « Ah ben alors lui il va faire ça, il va faire ça ». Non après c’est lui qui décide. Et tous les personnages-là qui… qui sont nés et qu’on voit dans les capsules, qui sont des personnages qui ne sont pas ce que le pouvoir attend d’eux par leur corps, par leur naissance, par ce qu’ils sont, tout simplement… en fait je voyais que leur seule solution c’était de partir. C’est pour ça qu’ils se retrouvent sur les routes et qu’ils cherchent un ailleurs où tout serait possible. Un horizon, qu’on espère atteindre. Mais est-ce qu’on atteint un jour l’horizon ? Et donc voilà. Mais en même temps ça me… Tous ces personnages et tout ce travail…. Aussi de côtoyer Marie, Evelyne, Nicoletta, on voit que… que il y a quelque chose qui nous touche quelque part de la même manière sur ce que c’est d’être au monde avec une autre manière d’être que la majorité des gens.
Marie Thys
Et je ne sais pas pourquoi, tous les personnages racontés par… comment Christine les raconte-ils ont… ils ont ce côté-là. Ils ont ce côté… Ils ont ce côté… La fille de faïence c’est pareil : « Ça suffit. On bouge ! » Et ça n’empêche pas. On voit leur force. Mais on voit aussi leur fragilité. Et c’est comme ça dans la vie. Et c’est comme ça pour… C’est ça que ça peut toucher les gens aussi. Les gens mêmes qui ne sont pas porteurs d’un handicap.